Rappel sur la notion de « projet » au sens des dispositions de l’article L.122-1 du Code de l’environnement à la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er février 2021, n° 479730

  • La notion de « projet » dans le Code de l’environnement

La notion de « projet » est la notion centrale de l’approche de l’évaluation environnementale.

Cette notion, d’emploi courant, est polysémique, supposant de ne pas confondre son acceptation en droit de l’environnement avec celle retenue dans d’autres régimes juridiques (droit de l’urbanisme, droit fiscal…).

Il convient donc de s’attacher à la définition qui en est donnée par le Code de l’environnement, au regard de la finalité du contrôle de l’AE, à savoir l’impact du projet sur l’environnement.

Dans sa version la plus récente[1], l’article L 122-1 du Code de l’environnement dispose :

« I.-Pour l’application de la présente section, on entend par :

1° Projet : la réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol ;

2° Maître d’ouvrage : l’auteur d’une demande d’autorisation concernant un projet privé ou l’autorité publique qui prend l’initiative d’un projet ;

3° Autorisation : la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit au maître d’ouvrage de réaliser le projet ;

4° L’autorité compétente : la ou les autorités compétentes pour délivrer l’autorisation du projet.

II.-Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas. […]

III.- L’évaluation environnementale est un processus constitué de l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après ” étude d’impact “, de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l’examen, par l’autorité compétente pour autoriser le projet, de l’ensemble des informations présentées dans l’étude d’impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d’ouvrage. […]

Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. […] ».

En d’autres termes, il y a lieu de procéder à une évaluation globale, mais à l’échelle du « projet » pertinent, en vérifiant bien entendu que, soit par sous-évaluation du périmètre pertinent, soit par « fractionnement » temporel ou spatial du projet, certaines incidences du projet sur l’environnement ne soient ignorées.

Si chaque projet doit être appréhendé dans son ensemble, pour autant, chaque projet présente des caractéristiques et un périmètre qui sont tributaires de sa cohérence propre et de son degré de maturité.

Le droit français procède en l’état de la Directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 qui retient qu’un projet est « une réalisation, une installation, un ouvrage ou une intervention ».

Notre droit a intégré l’évaluation environnementale par symétrie avec l’exigence identique pesant sur les « plans et programmes » par la Directive 2001/42/CE du 27 juin 2001.

L’objectif de la Directive « Projets » de 2011, qui est que les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de  leur  nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce  qui concerne leur incidence, ne saurait être détourné par le fractionnement d’un projet, l’absence de prise en considération de l’effet cumulatif de plusieurs projets, ne devant pas  avoir pour résultat pratique de les soustraire dans leur totalité à l’obligation d’évaluation alors  que, pris ensemble, ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement[2].

La validation du périmètre « pertinent » au regard de ces textes est difficile et sensible tant pour le pétitionnaire que pour l’organe assurant la fonction d’autorité environnementale (MRAE, DRIEE, CGEDD).

La rédaction actuelle de l’article L 122-1 qui vise le « projet » est issue d’une ordonnance du 3 août 2016 qui a remplacé l’obligation d’évaluer globalement les incidences « des projets concourant à la réalisation d’un même programme de travaux, d’aménagement ou d’ouvrages », qui entendait poursuivre le même objectif, mais dont la portée se trouvait réduite par la définition du programme comme constituant une unité fonctionnelle.

  • La position de l’autorité environnementale et de la jurisprudence sur la notion de « projet »

Au regard de ce qui précède, l’autorité environnementale a adopté une conception large de la notion de « projet », dont elle tente de déterminer les contours dans différents guides et avis[3].

Les guides et avis sont très utiles pour l’administration elle-même, les maîtres d’ouvrages, les bureaux d’études et les praticiens.

Pour autant, ils ne sont pas source de droit et ne peuvent avoir qu’une fonction interprétative.

Ce sont soit des précisions du législateur soit la jurisprudence qui peuvent fixer l’application de cette notion juridique.

Une application extensive de celle-ci serait tout autant irrégulière qu’une application restrictive.

La jurisprudence est ainsi venue apporter des précisions pour définir le « projet » qui sera soumis à l’examen ou non de l’autorité environnementale.

Par un arrêt du 28 novembre 2018, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une programmation globale (par exemple dans un document d’urbanisme) ne remettait pas en cause l’existence de projets opérationnels distincts qui doivent être analysés à leur échelle propre (Conseil d’Etat 28 novembre 2018, n°419315).

Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public avait rappelé sans ambiguïté :

« Vous l’aurez compris, il demeure, tout de même, que la notion de projet présente un caractère un peu irréductible à la caractérisation par des critères stricts – ce qui est source d’une insécurité juridique qu’il ne faut pas sous-estimer. Afin de s’efforcer de la réduire, le commissariat général au développement durable a publié un « guide d’interprétation de la réforme » dont l’on peut tirer qu’un projet doit être regardé comme une même réalisation, incluant l’ensemble des travaux, installations, ouvrages ou autres interventions qui lui sont nécessaires, c’est-à-dire qui, sans le projet, ne seraient pas réalisés ou ne pourraient remplir le rôle pour lequel ils sont réalisés. Ce guide indique par ailleurs que, pour déterminer l’étendue d’un projet et les éléments qui le composent, le ou les maîtres d’ouvrages peuvent recourir à différents indices, notamment la proximité géographique et temporelle de ces composantes, leurs similitudes et leurs interactions, ainsi que l’objet et la nature des opérations.  

La présente affaire vous donnera l’occasion de préciser, au moins sur un point, les éléments susceptibles – ou non – de caractériser l’existence d’un unique projet, votre jurisprudence étant encore vierge d’exemples d’application des dispositions issues de l’ordonnance de 2016 ». 

Il a été retenu que le juge des référés avait été trop loin en élargissant excessivement l’échelle à laquelle l’analyse de l’autorité environnementale devait être réalisée, faisant prévaloir les dimensions de la zone délimitée par le PLU applicable sur celles du terrain affecté à la création d’un lotissement.

Cette décision rappelle que ce que proscrit la CJUE est le fractionnement artificiel de projets « unicitaires », c’est-à-dire concourant, le cas échéant par des moyens et maîtres d’ouvrages distincts, à la réalisation d’un ouvrage, d’une installation, d’une construction ou d’un aménagement.

Un raisonnement identique a encore été retenu dans une affaire dont l’objet était plus large, attaché à la qualification d’un « appel à projet » pour l’éolien marin au regard des exigences de concertation avec le public et d’évaluation environnementale (Conseil d’Etat, 7 juin 2019, 414426).

A cette occasion, le Conseil d’Etat a souligné que la société lauréate de cet appel à projet était autorisée à exploiter un « poste électrique sur le domaine public maritime au large de Saint-Nazaire, sans la dispenser d’obtenir les autorisations requises par d’autres législations avant la réalisation des travaux et la mise en service de ces installations ».

L’appel à projet n’était ni un « Plan ou Programme » ni un « Projet » au sens des Directives.

C’est important, car c’est une reconnaissance non seulement du phasage des projets et de la pluralité des autorisations à obtenir, mais surtout que le droit communautaire est respecté, dès lors que les autorisations à obtenir seront elles-mêmes précédées d’une autorisation environnementale.

Enfin, très récemment, dans un arrêt du 1er février 2021, le Conseil d’Etat a retenu (par une solution moins extensive que ce que préconise l’autorité environnementale) que la similitude de deux opérations de construction, prévues sur deux parcelles adjacentes reliées par deux passages, et s’inscrivant dans le projet d’urbanisation de la zone, ne suffisait pas à caractériser l’existence d’un projet unique qui serait fractionné et aurait dû, dans son ensemble, être soumis à une étude d’impact (Conseil d’Etat, 1er février 2021, n° 429790 : JurisData n° 2021-001326).

Selon le Conseil d’Etat, des liens entre les deux opérations, de nature à caractériser le fractionnement d’un projet unique, n’étaient pas identifiables.

  • Les apports de l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er février 2021, n° 429790  

Selon la haute juridiction, il ne convient pas de rechercher si des indices permettent de déceler une unicité de projet, mais à l’inverse, il convient de rechercher si un projet unique a été artificiellement fractionné.

Là encore, dans ses conclusions sous cet arrêt, le Rapporteur public avait souligné l’importance d’éviter tout amalgame en relevant :

« Le fait que le PLU ait envisagé un certain zonage pour certains types  d’aménagements peut le cas échéant être appréhendé dans le cadre de l’évaluation  environnementale des plans et programmes prévue par la directive 2001/42/CE. Mais il ne peut pas être un indice de ce que plusieurs projets réalisés ou réalisables dans le cadre de cette planification d’urbanisme constitueraient en réalité un seul projet fractionné au sens du III de  l’article L. 122-1 ».

Une telle décision apparaît conforme aux ambitions de la directive, de la jurisprudence communautaire, et de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement qui entendent éviter que l’obligation de réaliser une évaluation environnementale ne soit contournée par le fractionnement artificiel des projets, mais sans astreindre les autorisation d’urbanisme à gérer des aspects  qui leur sont étrangers.

Au surplus, il peut être relevé que dans sa décision, le Conseil d’État a mis en évidence le fait que le second projet n’était encore qu’hypothétique puisqu’il n’avait pas fait l’objet d’une demande d’autorisation à ce stade… Cet arrêt du 1er février 2021 rappelle que ce n’est pas parce que des projets présentent certains liens entre eux, qu’ils constituent nécessairement deux composantes d’un même « projet » au sens du Code de l’environnement, sauf à démontrer qu’il aurait été irrégulièrement fractionné.

AHC


[1] Loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[2][2] Cf. CJCE, 21 septembre 1999, Commission c/ Irlande, aff. C-392/96 ; CJCE, 25 juillet 2008, Ecologistas en Acción-CODA, aff. C-142/07 ; CJCE, 28 février 2009, Paul Abraham e.  a., aff. C-2/07 ; CJCE, 10 décembre 2009, Umweltanwalt von Kärnten, aff. C-205/08 ; CJUE, 7 mars 2014, Ayuntamiento de Benferri, aff. C-300/13.

[3] Guide de lecture de la nomenclature des études d’impacts – publication févr. 2017. – Guide d’interprétation de la réforme – publication août 2017 mis à jour en 2019. – Note de l’Autorité environnementale relative aux ZAC et autres projets d’aménagement urbains – Note délibérée n° Ae 2019 N 07 adoptée lors de la séance du 5 févr. 2020